Haïti a adopté une Constitution par voie référendaire après la chute de la dictature des Duvalier en 1987. Elle marquait l’inauguration d’une nouvelle République. À son adoption, la Constitution avait suscité beaucoup d’espoirs au sein de la population qui voyait en elle un outil de progrès, de stabilité et de démocratie. Du moins, elle a été vendue en ces termes par les politiques de l’époque. Cependant, cet outil n’a pas empêché le pays de devenir l’Etat le plus instable du continent depuis 1986, avec ses coups d’état et ses crises politiques sans fin, contrairement à nos voisins caribéens et latino-américains qui ont réussi, pour la plupart, leur transition démocratique post-guerre froide. Par conséquent, on peut dire que la stabilité attendue n’est pas du tout au rendez-vous.
Cette Constitution, aussi progressiste qu’elle puisse paraître, comporte de nombreuses failles qui la rendent inefficace par rapport aux problèmes colossaux du pays. En effet, Haïti est un pays historiquement instable. C’est un peuple révolutionnaire dans l’âme qui se lève, qui se soulève, qui s’insurge à intervalle régulier pour réclamer le départ voire la tête de ceux qui ne gouvernent pas pour le bien commun. Notre histoire est jalonnée de ces moments où le peuple haïtien se soulève contre ses tyrans. Loin d’être un défaut, une propension à la destruction ou au koupe tèt boule kay, c’est la démonstration du fait que l’Haïtien a toujours refusé la corruption et l’autoritarisme de sa classe politique.
Revenons à notre Constitution. Parmi les failles et les incohérences qu'elle comporte, il y a le refus de tout referendum alors même qu'elle a été adoptée par référendum ! En effet, l’article 284.3 de cette Constitution dispose que : « toute consultation populaire tendant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ». Ce qui est un déni évident de démocratie, car le référendum consiste à faire appel au peuple souverain pour se prononcer sur les décisions qui le concernent. On peut dire que c’est la forme la plus aboutie de la démocratie. Une dose de démocratie directe serait plus que bénéfique pour notre pays, en ce sens que le peuple participerait davantage à la gestion de la Cité et disposerait de la plénitude de sa citoyenneté qui ne serait pas confisquée par des élus sans légitimité car, élus avec entre 10 et 25% du corps électoral comme c’est le cas de la plupart de ceux qui nous dirigent depuis quelques temps.
S’il est vrai que toute véritable réforme constitutionnelle doit être approuvée par les Haïtiens, cette réforme doit également amener de nouvelles dispositions visant à renforcer la participation citoyenne dans la res publica et apporter cette fameuse stabilité qui nous manque tant depuis plus de deux siècles d’indépendance. La solution à l’instabilité endémique de notre pays – je le crois – c’est le peuple. Loin de moi l’idée de dire que le peuple ne s’est jamais prononcé sur la politique ! Les mouvements populaires de ces derniers mois contre la corruption, la mauvaise gouvernance et, plus généralement, contre le pouvoir en place sont une forme de participation citoyenne dans la vie politique nationale, la preuve qu’il s’exprime et essaye de se faire entendre. Néanmoins, il faut trouver une formule qui soit institutionnelle et surtout démocratique pour lui donner la parole. Ainsi, je plaide pour l’instauration d’un référendum révocatoire qui permettra au peuple de révoquer un élu en cours de mandat s’il estime que ce dernier ne respecte ses promesses ou a commis des actes manifestement incompatibles à l'exercice de sa fonction. L’objectif est évidemment d’empêcher ce drame que nous vivons à presque chaque mandat présidentiel où le peuple demande sans cesse, et à raison, la démission du président, qui de son côté, refuse de s’en aller même s’il sait qu’il n’a pas le soutien populaire. Dès lors, deux principes s’affrontent : celui de la légitimité des urnes qui postule que le dirigeant contesté est issu des urnes, qu’un mandat lui a été confié et que celui-ci est incompressible. De l’autre côté, le principe de la souveraineté populaire qui postule que le mandat a été souverainement accordé à l’élu et qu’à tout moment il peut lui être retiré, y compris par voie référendaire et la contestation dans les rues.
Rappelons que le référendum révocatoire ne serait pas une invention haïtienne si elle était inscrite dans la carta magna. A l’heure actuelle, plusieurs pays du monde l’ont intégré dans leur constitution. C’est le cas de la Suisse que plus d’un considèrent comme le pays le plus démocratique du monde, et plus près de nous, le Mexique, l'Équateur, le Venezuela, plusieurs États des États-Unis d'Amérique dont l’État de Californie. Évidemment, il ne s’agit de copier ce qui existe ailleurs pour l’appliquer à notre pays, il s’agit de redonner le pouvoir au peuple, de ressusciter ce vieux credo du parti national haïtien du 19e siècle : le pouvoir au plus grand nombre.
Les modalités du référendum révocatoire
Ce referendum révocatoire peut avoir lieu au bout de deux ans et demi après le début du mandat du président de la République c’est-à-dire au milieu du mandat. Pour les autres élus – parlementaires, maires, conseillers communaux – à la moitié de leur mandat également. Ici, on se fixe sur le référendum révocatoire du mandat présidentiel. Pour convoquer le référendum, il faudra au préalable réunir une quantité de soutiens que la loi devra définir. Cependant, je pense que le chiffre de 5% du corps électoral, soit aujourd'hui environ 350 000 citoyens, est raisonnable. La demande de référendum devra être formulée par une ou plusieurs organisations politiques ou de la société civile. Dès lors qu’elle est présentée, ces organisations pourront avoir, par exemple, un délai de six mois pour rassembler les 5% de l’électorat requis pour valider la demande. Pour récolter les signatures, le Conseil électoral permettra aux citoyens de signer la pétition sur son site en insérant les données de leur carte d’identification nationale dans un formulaire de soutien. Elle pourra être signée également manuellement dans les mairies, dans les écoles, les universités, etc. Les organisations portant cette demande seront responsables de convaincre les citoyens d'appuyer leur démarche. Si le nombre minimal de signatures est atteint, le Conseil électoral convoquera alors le référendum. Si une majorité des électeurs vote la révocation du Président de la République, cette révocation est effective dès la proclamation des résultats. Le président sera alors remplacé par un président par intérim (le président de la Cour de cassation) qui aura 90 jours pour organiser une nouvelle présidentielle. Si une majorité des votants vote la confiance au président, il restera en place et terminera son mandat. Le nombre de référendum sera limité à un seul durant un mandat présidentiel pour ne pas créer une instabilité politique permanente, le contraire de ce que l'on recherche.
Le référendum révocatoire, en plus de mettre fin à la paralysie régulière du pays par les incessantes mobilisations contre les pouvoirs corrompus et oligarchiques qui gouvernent depuis des lustres, permettra de moraliser la vie politique nationale. Ce serait une épée de Damoclès qui pèserait sur la tête de chaque élu qui saurait qu'il devrait être irréprochable, travailler pour le bien de la Nation au lieu de s'en mettre plein les poches. On ne peut espérer détruire la corruption par exemple, mais on peut la réduire considérablement, grâce à l’instauration de ce référendum révocatoire. On peut être quasiment sur que la dilapidation des fonds PetroCaribe n’aurait pas pu exister si les dilapidateurs savaient qu’ils pouvaient perdre leur mandat. En clair, le but du référendum révocatoire c’est de réduire l’instabilité politique de notre pays et de donner un débouché démocratique aux revendications populaires.
Louinel Estimable
Licencié en Science politique de
l'Université Sorbonne Paris Nord
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